Les manoirs de la Louinière

 

Au Moyen-âge la « terre noble » de La Louinièe dépendait de la seigneurie de Treillières. En 1428 le propriétaire en est Jean Guyère. A la fin du16e siècle, c’est la famille Jarnigan (qui s’écrivait avant Gerniguen) qui la possède. Le mariage de Perrine Jarnigan avec Julien de La Haye, vers 1545, la fait passer dans cette famille de marchands installés à Nantes rue des Halles. En 1629, a lieu le partage des biens de Jean de La Haye, fils de Julien. Riche marchand installé à La Fosse de Nantes il laisse à ses héritiers, outre une entreprise commerciale florissante, des rentes, des biens immobiliers et fonciers situés à Nantes, à Saint-Sébastien et à Treillières. Sur cette paroisse il possédait des terres (à Gesvres, La Ménardais, La Gréhandière, Ortais…) et surtout le : « lieu de la Louynière tant en logis, pressoir, téterie, terres labourables, prés, pastures, landes et boys de haute fustaie, taillis, garennes et communs… » (Acte notarial du 29 janvier 1629).

            C’est sa fille Marguerite, épouse de Pierre Gérard, un marchand de Nantes, qui hérite de la Louinière. Sentant sa fin proche, le 12 avril 1642, elle fait son testament et demande que les biens qu’elle possède à Treillières « retournent particulièrement en l’estoc paternel… ». Devenu veuf, son mari Pierre Gérard échange donc, le 18 août 1643, la Louinière contre argent avec son beau-frère Georges de La Haye. Celui-ci, perpétue l’activité commerciale familiale. Installé à la Fosse (le port de Nantes) il entretient des relations avec la Hollande et l’un de ses fils s’installe aux isles d’Amérique (Saint-Domingue). Les terres qu’il possède à Treillières lui sont un revenu complémentaire (qu’il arrondit en levant une partie des dîmes de la paroisse pour l’évêque) et lui permettent d’arborer en société le titre de Sieur de la Louinière. Ce bourgeois-gentilhomme a une nombreuse descendance (16 enfants en deux mariages). Lors de son décès, en 1665, les 24 000 livres auquel se monte son héritage sont partagées en 14 lots. La Louinière échoit à trois de ses filles. L’une d’elle, Madeleine, épouse, le 21 août 1674, noble homme Etienne Du Boys, le sieur de Fayau devenu veuf. Les nouveaux époux rachètent les parts détenues par les sœurs de Madeleine dans la Louinière et en deviennent entièrement propriétaires en 1685. L’histoire de la Louinière s’écrit alors avec la famille Du Boys.

Le vieux manoir (à gauche) en 1985 (Photo J. Bourgeon)

Le vieux manoir (àgauche) en 1985 (Photo J. Bourgeon)

En passant des de La Haye aux du Boys, nous quittons la bourgeoisie marchande entichée de notabilité aristocratique à la petite noblesse acquise de fraîche date par l’achat d’offices royaux. Le grand-père d’Etienne, François du Boys, était né le 7 février 1564 à Nantes où il demeurait rue de Briord. D’abord collecteur des finances du duché de Rais, il avait acheté ensuite, pour 5 000 livres, l’office de collecteur des finances de Bretagne ; office qu’il avait revendu pour acheter (6 024 livres) celui de conseiller du roi, receveur général des décimes des diocèses de Vannes et de Saint-Malo. Cette charge avait l’avantage d’anoblir son propriétaire. Sage précaution, car la noblesse de François du Boys était contestée devant les tribunaux par un certain sieur Lebaz. Après de longues recherches à Marseille et Lyon, le tribunal estima que la famille du Boys était noble depuis 1540. Outre son domicile rue de Briord, François du Boys possédait des biens à Saint-Sébastien. Mais un noble se doit d’avoir un manoir à la campagne, aussi, le 26 janvier 1624, achète-t-il à escuyer (un noble) Gilles Lebel la propriété de Fayau en Treillières. Marié à deux reprises et père de 12 enfants il aime à résider à Fayau mais n’apprécie pas que les villageois passent dans la cour et le jardin de son domaine pour aller au bourg aussi leur intente-t-il procès. A sa mort, le 9 octobre 1640, son corps est transporté de Treillières à Nantes pour être inhumé dans un enfeu situé dans la chapelle de Saint-Martin, en l’église des Cordeliers, qu’il avait acheté avec sa seconde épouse en 1631.

            Son fils Barthélémy hérite de Fayau tandis que les autres enfants reçoivent des propriétés situées à Thouaré ou aux Antilles. Etienne, le fils de Barthélémy se marie une première fois avec une aristocrate Isabelle Bonfils, la sœur de la seconde épouse de son père. Au décès de celle-ci il épouse sa voisine de la Louinière, Madeleine de La Haye, une bourgeoise lestée de rentes et pourvue d’un manoir, comme nous l’avons vu plus haut, ce qui lui permet de vendre le domaine de Fayau en 1678.

Les nouveaux époux entreprennent des travaux pour rénover la Louinière. En 1686, ils paient à Mathurin Butteau, un maçon du diocèse de Luçon : « La somme de 750 livres pour avoir fait à neuf à la maison de la Louinière, paroisse de Treillières, 150 toises de muraille tant en longueur que hauteur pour enclore partie du principal jardin de la dite maison de la Louinière, comme aussi avoir fait les grosses réparations nécessaires des massonnes tant au dit lieu qu’à la métairie en dépendant et au tait à vache, plus avoir relevé une porte qui était tombée à la grange d’icelle maison et fait une longueur de muraille qui était en partie à bas vers soleil couchant et raccommoder les portes tant de la boulangerie que écurie de la dite maison, que quantités d’autres réparations de massonnes qui étaient nécessaires en la dite maison de la Louinière ».

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Ce bâtiment (à gauche)) est sans doute le premier logement des métayers de la Louinière (pièce de vie en bas à droite; étable ou écurie à gauche et grenier au-dessus) ; l’autre  métairie située en face  (à droite) est plus récente. (Photos de 2013)

Etienne du Boys meurt le 17 mai 1713 à la Louinière. Un an plus tôt, est née sa petite fille Louise du Boys  qui épouse, le 16 février 1733 Messire écuyer François Lenfant-Dieu. Devenue veuve elle se remarie en 1741, avec un jeune aristocrate de 24 ans, officier au Régiment de Brancas : Messire écuyer Gabriel Du Noir chevalier de Fournerat. A ce cadet désargenté d’une famille de la noblesse d’épée elle apporte un manoir et des terres en échange d’une noblesse qui ne sent pas la boutique ou le grimoire. Gabriel Du Noir abandonne le métier des armes et se consacre à son manoir et à Treillières en intervenant régulièrement dans l’assemblée du général de la paroisse qui gère les affaires villageoises. Après son décès, en 1774, son fils Gabriel Du Noir, lui succède dans le manoir et à l’assemblée du général de la paroisse jusqu’à la Révolution. En désaccord avec le nouveau régime Gabriel Du Noir émigre ce qui entraîne, selon la loi de février 1792, la confiscation de ses biens qui deviennent « biens nationaux. En 1796, sa sœur Madeleine, née en 1748 à La Louinière, rachète le domaine familial. A cette occasion le « bien national » est estimé, ce qui nous vaut une description du manoir, de ses dépendances et de toutes les terres autrefois possédées par Gabriel Du Noir sur la commune.

Cette estimation réalisée le 26 thermidor an IV, soit le 13 août 1796, est conservée aux Archives départementales  (cote Q 72). En voici les premières pages qui nous renseignent sur l’état et la disposition des bâtiments composant le domaine de la Louinière.

 

« L’an quatrième de la République une et indivisible le vingt sixième jour du mois de thermidor.

Nous Louis Nau architecte à Nantes expert nommé par délibération du département de la Loire Inférieure en datte du vingt deux présent mois et nous Alexandre Vincent cultivateur à Treillières expert nommé par Marie Magdeleine Dunoir par sa soumission d’acquérir le bien national ci après désigné, en datte du premier thermidor enregistré N° 1138 à l’effet et procéder à l’estimation en revenu et en capital sur le prix de 1790 du domaine national cy-après désigné.

Nous sommes en conséquence de la commission à nous donné par l’administration du département en datte du vingt deux présent transportés en la commune de Treillières sur les huit heures du matin chez le citoyen Alexandre Renaud commissaire du Directoire exécutif près l’administration municipale du canton de La Chapelle sur Erdre, qui nous a accompagné à la maison de la Louinière située même commune de Treillières où étant nous avons commencé nos opérations en la présence de la soumissionnaire comme suit.

Scavoir

La  maison principale de la Louinière située entre cour et jardin est composée d’un retz de chaussée, d’une salle, d’une cuisine, avec un petit office, d’un premier étage consistant en deux chambres et cheminée avec un petit cabinet carlé, au dessus des greniers déservis par un escalier de pierre. Au midy de la cour sont des ménageries consistant dans une boulangerie en ruine, le four détruit, un logement de pressoir et un cellier à côté. Au nord de la cour un logement de métayer occupé par René Bretesché, à côté un toit à bœufs et à vaches. Au dehors de la ditte cour, un autre logement avec ses étables à bestiaux occupé par Jacques Rincé, contenant tous les dits logements avec la cour une surface de sept cordes. Après avoir examiné l’état des dits bâtiments, leurs longueurs, largeurs, hauteurs, leurs emplacements, distribution, leurs clotures avec l’état de vétusté des charpentes et couvertures en ardoise qui sont presque tous en ruine, sommes d’avis qu’ils peuvent valoir en 1796 en revenu annuelle la somme de quatre vint deux livres (82 l)

Lequel revenu multiplié par dix huit fois d’après la loi donne en capital la somme de quatorze cent soixante seize francs (1476 f).

A l’orient de la maison un jardin enclos de murs en ruine contenant vingt une cordes que nous estimons valloir en revenu annuelle la somme de 12 francs (12 f)

Nous avons passé ensuitte à l’arpentage et estimation des terres dittes de la Louinière dont partie affermée à René Bretesché et à Jacques Rincé…. ». (Suit la description de terres situées autour de la Louinière : prés, patûres, labours,  vigne (au nord du jardin), châtaigneraies, landes, bois en taille… Puis les « experts » se rendent dans les villages alentours où la famille Dunoir possédait des biens)

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La tour du vieux manoir au début des années 1960

Le domaine décrit semble en mauvais état. C’est possible vu que les propriétaires sont partis depuis plus de 4 ans (cependant les métayers sont toujours sur place). Mais deux des trois experts (Alexandre Vincent et  Alexandre Renaud) sont des proches de Gabriel Dunoir le propriétaire émigré qu’ils ont longtemps côtoyé dans la gestion des affaires locales lors des séances du général de la paroisse, ils peuvent être tentés de lui favoriser le rachat de ses biens par l’intermédiaire de sa sœur.

En 1803, Gabriel Du Noir revenu d’exil s’installe à nouveau à La Louinière. Quand il meurt, sans enfant, en 1808 sa sœur Madeleine hérite de La Louinière qu’elle vend peu de temps avant sa mort (1824) au Vicomte Edouard Sioc’han de Kersabiec (1800 – 1851) qui entreprend aussitôt de faire construire un nouveau manoir, dans le style de l’époque, à côté de la vieille bâtisse du 15e siècle qu’il met à la disposition de son régisseur.

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Sous la couronne vicomtale, les armes de E. Kersabiec (à gauche) et celles d son épouse (à droite) au-dessus de la porte de la chapelle de la Louinière construite en 1849.

Sur le premier cadastre réalisé en 1839 c’est La Louinière du Vicomte de Kersabiec qui apparaît avec le nouveau manoir (appelé château), l’ancien manoir et ses bâtiments agricoles (logement des métayers, étables…) et de l’autre côté de la route la boulangerie, et le pressoir.

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Après la mort du Vicomte de Kersabiec (maire de Treillières de 1849 à 1851) La Louinière passa entre les mains de nombreux propriétaires : François Collet (1804 – 1871) un négociant nantais ; Etienne Chauvière (1802 – 1871) un rentier de Nantes puis son neveu Félix Chauvière (1847 – 1922) ; Elie Fauconnier puis son fils Paul (décédé à La Louinière en 1937) ; jusqu’en 1973 le domaine appartint aux Faligot de La Bouvrie.

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Le manoir de la Louinière vers 1910 (façade Est)

Aujourd’hui le manoir construit par de Kersabiec appartient à Mr Lemée tandis que l’ancien manoir du 15e siècle est la propriété de Cédric et Angèle Bulot qui ont entrepris un ambitieux et méritoire travail de restauration.

Cette restauration concerne aussi la boulangerie et son four situés de l’autre côté de la route et autrefois utilisés par tous les habitants de La Louinière. Cédric Bulot a mobilisé les énergies locales (voisins, TAFDT) et régionales (Tiez Breizh) pour remettre en état ce bien à usage communautaire. En septembre 2012 le site a été débroussaillé, les ruines dégagées, les murs nettoyés, la boulangerie mise hors d’eau par la pose d’une toiture provisoire. Encore un peu de patience et la bonne odeur de pain frais flottera sur La Louinière et  les palets de Gargantua (le chaos rocheux voisin).

Jean Bourgeon

 

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La boulangerie et le pressoir de la Louinière à l'abandon en 1985