1916 : Verdun – La Somme et des poilus de Treillières

Cette année toutes les communes de France sont appelées à commémorer, le 29 mai prochain, le centième anniversaire des batailles de Verdun et de La Somme. De nombreux soldats de Treillières ont pris part à ces batailles devenues des mythes structurants du récit national français. Le discours mémoriel a déjà tout dit du survivre et du mourir dans ces enfers de la guerre industrielle. Contentons-nous de rappeler les circonstances dans lesquelles 9 soldats de Treillières y ont laissé la vie.

La bataille de Verdun (21 février – 18 décembre)

En 1916, les Allemands commencent à ressentir les effets du blocus maritime imposé par les Alliés. Craignant que la guerre ne s’éternise sur un front pétrifié, ils décident d’une offensive décisive qui, à défaut de victoire, affaiblira l’armée française  et permettra au moins l’ouverture de négociations. Leur choix se porte sur le secteur de Verdun.

La bataille, engagée le 21 février 1916, se prolonge jusqu’au 18 décembre 1916 et reprendra en 1917. Cette durée en fait une bataille différente, une « bataille totale » marquée par un corps à corps acharné, par la prise de forts et leur reprise (Douaumont, Vaux), par la disparition définitive de villages entiers et surtout par la puissance de feu utilisée (60 millions d’obus tirés de part et d’autre). Verdun se distingue aussi par l’engagement physique et moral des combattants plongés dans une horreur qui a marqué les esprits (163 000 tués côté français, 142 000 côté allemand en 1916).

1 Verdun

La bataille de Verdun en 1916

2 Durand J.M.La bataille de Verdun a commencé le 21 février avec l’offensive allemande sur le fort de Douaumont qui est pris le 25 février. Pendant un mois, les Allemands vont progresser vers les sites stratégiques qui protègent l’accès à Verdun : le 20 mars ils investissent une partie de la colline, dite cote 304, d’où les Français protègent le Mort-Homme, l’un des objectifs de l’ennemi. Après une courte période de répit une nouvelle offensive allemande est lancée le 4 avril sur le Mort-Homme et, plus à l’est sur le fort de Vaux et le secteur de Douaumont. C’est là que combat Jean-Marie  DURAND, né le 21 mai 1889 à Treillières. Cultivateur à Muzon, il a été rappelé le 3 août 1914 au 116e RI. Comme tous ses camarades il résiste vaillamment. La progression allemande ralentit, ce qui amène le général Pétain a lancé, le 10 avril, son célèbre ordre général n° 94 : « On les aura ». Les combats sont acharnés autour du Mort-Homme, du fort de Vaux et du fort de Douaumont. C’est en défendant le village de Fleury-devant-Douaumont que Jean-Marie Durand est tué le 21 avril 1916 à 5 h du matin.

 

3 GOURBIL PierreUn mois plus tard, à l’ouest de Verdun le Mort-Homme tombe et le 7 juin, à l’est,  c’est le tour du fort de Vaux. Inexorablement, les Allemands se rapprochent de Verdun. Le 21 juin, partant du fort de Vaux, ils lancent une attaque vers le Bois des Hospices pour prendre les forts de Souville et de Tavannes. Les Français résistent mais les pertes sont lourdes. Parmi les victimes, il y a Pierre GOURBIL, né le 31 janvier 1891 à Vigneux et cultivateur à Muzon. Il a été incorporé le 10 octobre 1912 au 28e Régiment d’artillerie. Il est maître pointeur. Le 19 juin 1916 il écrit à sa famille : « Quelques mots pour vous dire que je suis toujours en bonne santé, mais la situation n’est pas brillante. Nous sommes marmités bien comme il faut. Je vous assure que ce n’est pas le rêve. Enfin, chers parents, si je dois périr, que voulez-vous il faudra m’oublier ». Il est tué deux jours plus tard, au Bois des Hospices. Son camarade de combat, Alphonse Jolivet, écrit aux parents de Pierre Gourbil le 22 juillet 1916 : « Votre fils a été tué le 21 juin à côté de moi à Verdun. Il venait de relever l’autre pointeur, car à ce moment l’on ne pouvait pas rester longtemps car les Boches nous envoyaient des obus à gaz asphyxiants. C’était vers les 5 heures de l’après-midi qu’il a été tué, ils étaient 3 à la même pièce et tous les trois ont malheureusement été tués, mais je vous dirais qu’ils n’ont pas souffert, l’obus est tombé sur eux, nous les avons ramassés et envoyés à l’échelon ; là on leur a fait des cercueils et ils ont été enterrés dans le bourg de Haudainville tout près de Verdun. Le bois où l’on était en batterie s’appelle le bois des Hospices en face du fort de Souville ». Pierre Gourbil sera, après la fin du conflit, inhumé à la nécropole nationale d’Haudainville (Meuse) puis transféré dans le cimetière de Treillières. Rappelons que, comme Pierre Gourbil, 80% des soldats tués à Verdun l’ont été par l’artillerie.

Le déclenchement de l’offensive alliée sur la Somme oblige les Allemands à prélever des troupes engagées dans la bataille de Verdun où le front se stabilise pendant l’été autour des villages de Fleury, Thiaumont, Vaux. A l’automne, les Français passent à l’offensive, reprennent ce qui reste des forts de Douaumont (24 octobre) et de Vaux (2 novembre). Le 15 décembre, le général Mangin lance une dernière offensive. Les journaux nantais, sous le titre « Grande victoire devant Verdun » publient le communiqué officiel suivant : « Après une préparation d’artillerie, qui a duré plusieurs jours, nous avons attaqué l’ennemi au nord de Douaumont sur un front de plus de 10 km… le front ennemi a été partout enfoncé sur une profondeur de  trois kilomètres environ… Nous avons fait  un grand nombre de prisonniers… Nous avons pris ou détruit de nombreux canons d’artillerie lourde, de campagne et de tranchées, et un matériel considérable… ».

4 Bernard PierreC’est lors de cette dernière offensive que tombe Pierre BERNARD, né le 5 février 1884 à Treillières. Il avait quitté la ferme familiale de La Gréhandière pour devenir commis voyageur à Châteaubriant puis à Paris. Rappelé le 3 août 1914 au 65e RI, il appartenait au 3e Régiment de zouaves lorsqu’il est tué le 15 décembre 1916 à Douaumont-Bézonvaux. Son corps n’a pas été retrouvé. Il était le frère de Julien Bernard, disparu lui aussi à Fricourt (Somme) le 30 septembre 1914.

Après cette offensive, la bataille de Verdun semble entrer en hibernation et l’Etat-major français décide, arbitrairement, que le 18 décembre 1916 en marque la fin. Pourtant, après un hiver fait d’escarmouches et de tirs d’artillerie continus, la bataille reprendra au printemps et s’intensifiera pendant l’été jusqu’aux succès français de août 1917 (reprise de la cote 304 et du Mort-Homme).

 

La bataille de la Somme (1er juillet – 18 novembre)

            L’objectif de l’offensive lancée par les Britanniques et les Français le 1er juillet 1916 était la rupture du front allemand en Picardie afin de se saisir des nœuds de communications adverses, puis de pousser jusqu’à Arras en forçant l’ennemi à un immense recul sur cette partie du front. La préparation de l’offensive commence en décembre 1915 par la création de réseaux de communication et de voies ferrées pour amener sur le front, à raison de 30 trains par jour, des milliers d’hommes de canons et des tonnes de munitions. Pour préparer l’assaut dans les meilleures conditions, des réseaux de tranchées, très denses, sont creusés ainsi que des sapes pour miner les lignes ennemies.

            L’attaque allemande sur Verdun, contrarie les plans de l’Etat-major, et l’offensive de La Somme, sans perdre ses objectifs, devient une bataille de diversion pour soulager Verdun. Ce qui n’empêche pas le bilan d’y être encore plus lourd que celui de Verdun : 1 067 000 morts, blessés et disparus (tous belligérants confondus) : 430 000 pour les Britanniques ; 437 000 Allemands ; 200 000 Français.

            L’assaut du 1er juillet est catastrophique pour les Anglais : 57 470 soldats britanniques mis hors de combat, dont 21 000 tués ou mortellement blessés, ce qui fait de cette journée, la plus meurtrière de l’histoire militaire du pays. Après cet échec, l’offensive prévue se transforme, du 2 au 13 juillet, en une série d’assauts successifs sur la deuxième ligne allemande, prise le 14.  Des attaques dites de « grignotage » ont alors lieu contre la troisième ligne de défense allemande avant le lancement d’une grande offensive.  Un « grignotage » que les Treilliérains paient très cher puisque 5 d’entre eux sont tués dans ces combats :

5 GERGAUD FrançoisFrançois GERGAUD  né le  4 mars 1885 à Treillières est cultivateur à Launay quand il est rappelé le 3 août 1914 au 65e RI. Il est porté disparu, tué à l’ennemi, le 16 juillet 1916, à 200 mètres à l’ouest de Fay (Somme).

Le 5 septembre, dans un village proche, Deniécourt, tombe Pierre MOREAU. Il était né le 8 janvier 1887 à Treillières. Laboureur à Grandchamps il était parti à la guerre le 3 août 1914 avec le 65e RI où il avait le grade de caporal. Plus tard il sera inhumé à la nécropole nationale de Dompierre-Becquincourt (Somme).

Le lendemain 6 septembre dans la commune voisine, Belloy-en-Santerre, tombe Alexandre BAZILE, né le  23 novembre 1893 à Nantes. Il travaille comme domestique-meunier au moulin Laurent (Treillières) quand il est incorporé, le 26 novembre 1913, au 2e  RIC. Plus tard il sera inhumé dans le carré militaire du cimetière de La Bouteillerie à Nantes.

6 BRETECHE FrançoisLe lendemain 7 septembre, au sud de la commune mitoyenne, Estrées, tombe François  BRETECHER, né le 9 novembre 1878 à Vigneux et cultivateur à La Guittonais. Rappelé le 13 août 1914 au 65e RI il passe ensuite au 265e RI. Son corps n’a pas été retrouvé. Son nom  est inscrit sur le monument aux morts de Vigneux et une plaque émaillée à sa mémoire (comportant des erreurs) figure sur les Tableaux d’honneur déposés à la mairie de Treillières.

 

 

Dans un cercle d’à peine 2 km de rayon, quatre Treillièrains ont disparu en quelques jours.          A 10 km plus au nord, à Maurepas, le 30 juillet, était tombé Jean-Marie JOLIVET né à Treillières le 18 mai 1888, cultivateur à Ortais. Lui aussi avait rejoint Nantes et son 65e RI le 3 août 1914 puis il était passé au 26e  RI le 5 juin 1915. Il fut inhumé « au sud de Maurepas, à l’ouest de la route de Maurepas à Cléry, à 200 m du tortillard » dit sa fiche matricule, dans un de ces petits cimetières de campagne que l’on installait provisoirement derrière les lignes de front mais que la mobilité des combats et les bombardements intensifs n’ont pas permis de retrouver.

7 Somme 1916

Carte de la bataille de la Somme avec, soulignées, les communes où sont tombés des soldats de Treillières.

 

Après ces attaques de « grignotage » qui coûtèrent la vie à cinq Treilliérains, une nouvelle offensive est lancée contre la troisième ligne allemande le 15 septembre (deuxième bataille de la Somme), avec l’appui, pour la première fois, de chars. Puis, le 7 octobre a lieu l’assaut de la quatrième ligne adverse, assaut renouvelé à six reprises jusqu’en novembre, alors que les Allemands se replient sur une 5e ligne et bientôt une 6e. Britanniques et Français progressent lentement au prix de pertes énormes quand les intempéries forcent le commandement allié à cesser les opérations le 18 novembre.

8 RENAUD AlexandreUne semaine plus tôt, le 11 novembre, lors de la dernière offensive de la bataille de la Somme est tombé Alexandre RENAUD, né le 14 mars 1893 à Treillières, cultivateur à La Rinçais. Incorporé le 27 novembre 1913 au 77e RI il était passé au 155e RI où il avait le grade de sergent. Sa bravoure lui avait valu deux citations : « Dans la nuit du 20 au 21 avril 1916 est allé, malgré un feu violent d’infanterie et d’artillerie piqueter une tranchée nouvelle ; par son calme et son courage a maintenu ses travailleurs sous le feu » ; « Dans la nuit du 26 au 27 mai 1916, est parti volontairement en patrouille pour reconnaître une tranchée occupée par l’ennemi et a rapporté des renseignements précieux ». Il est tué le 11 novembre 1916 à Sailly-Saillisel (Somme), tranchée de Berlin, à 18 h 30. Il sera inhumé plus tard  à la nécropole voisine de Rancourt (Somme)

Quelques jours plus tard, le soldat nantais Maurice Digo quitte les tranchées avancées de Sailly-Saillisel, pour aller au repos derrière la ligne de départ du 1er juillet, en traversant le champ de bataille de la Somme. Il écrit : « A petits pas trébuchants nous allons d’entonnoir en entonnoir. J’ai l’impression que la destruction est encore plus étendue qu’à Verdun. Sur la profondeur de 8 ou 9 km, conquis en 5 mois, le nivellement est impressionnant et maintenant que tout a disparu : bois, routes, villages, jusqu’aux tombes les plus récentes, l’offensive elle-même sombre dans cet océan de boue ».

Verdun – la Somme. En France, Verdun a plus marqué l’imaginaire que la Somme. Et pourtant, il a été gagné plus de terrain sur le front de la Somme que sur celui de Verdun et les pertes y ont été, proportionnellement, plus lourdes. Mais Douaumont, Vaux ont frappé l’imaginaire plus que Combles, Longueval ou Thiepval. A Verdun, les Allemands étaient les agresseurs, les Français ont été des défenseurs acharnés ; un mythe s’est créé, ancré sur les forts : « Verdun. On ne passe pas ! ». Sur la Somme, l’offensive a d’abord été menée par les Britanniques même si les soldats français n’ont pas démérité.

            Si, pour les Français, la Somme  n’a pas eu la même reconnaissance que Verdun, pour les Britanniques elle est devenue un mythe national. Aujourd’hui, chaque année, en juillet, ils commémorent la Grande Guerre à travers  la Somme et ses parcours du souvenir ponctués de coquelicots : batailles, cimetières, monuments commémoratifs témoins de la construction de l’identité de beaucoup de nations (Australie, Nouvelle-Zélande, Canada).

            Verdun – la Somme. Aujourd’hui, à Treillières, tous les poilus morts à la guerre ont droit au même hommage.

 

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La nécropole de Rancourt où repose Alexandre Renaud