Les noms de Lieux de Treillières

La Ménardais, Garambeau, La Gîte, Vireloup, Fayau, Patouillard, Muzon…..les noms de lieux étiquettent l’espace en petits panneaux jaillis du sol, chaque pièce de terre revendiquant fièrement son identité. Cette terre parcourue en tout sens depuis les temps les plus reculés, découpée, enclose, labourée, remuée motte à motte par les paysans qui entretenaient avec elle une relation presque charnelle la baptisant de leur sueur, la nommant comme ils le faisaient de leurs enfants, elle nous parle encore en son nom de ces hommes là.
Si l’on ouvre les grandes pages raidies du premier cadastre de 1839 on y découvre que chaque pièce de terre, ou presque, est désignée par un nom. Certaines de ces appellations ont vu le jour parce qu’un village, un hameau s’en sont ornés, d’autres dorment anonymes dans la campagne attendant qu’on les réveille pour nous parler des hommes d’antan qui les ont couchées là.
L’étude des noms de lieux (la toponymie) témoigne de l’histoire du peuplement d’un territoire mais il faut l’aborder avec prudence car notre région a été le point de rencontre de nombreuses populations, le creuset où se sont fondus et amalgamés les peuples les plus divers : populations néolithiques, celtes, romains, germains… La toponymie a parfois bien de la peine à discerner dans un nom de lieu la bonne racine de la mauvaise.
Les toponymes relevés sur la commune de Treillières en parcourant le cadastre de 1839 ( ce sont tous les noms en italique dans le texte qui suit) s’inspirent de la topographie, du règne végétal ou des différentes formes de l’habitation, évoquent le souvenir du travail de l’homme, de la structure sociale de l’époque, enfin témoignent de l’imagination de nos ancêtres.
 
La terre et l’eau
Les premiers habitants qui mirent le site en valeur, furent sensibles à la forme et à la nature du terrain. D’où les toponymes comme : la bosse, le tertre, la butte, le coteau, la bignonaie (bosse), la vallée, la combe (vallée), la cassière (ornière), le trouaisson, les pierres, les rochettes, la roche blanche, les rouches, la rouchais, les carrières, le jarrier, la charais (du gaulois kar : pierre), le chaillot (caillou), la sablonais, les mortiers (terre argileuse).
Si la pluviosité locale ne nous prive pas d’un pré sec, par contre les lieux humides abondent. Les toponymes dérivés du gaulois nauda (lieu humide) donnent les nombreux : noue, grasses noues, noë du puits, noë violin… la naie, la nouette, le pré du nette, le doué, le douet, la douette, le doux…
Au gaulois nous devons encore le Gesvres (voberos : cours d’eau ; en celtique : gover) et peut-être la Barnais (de borna : fontaine). Nous trouvons aussi, plus prosaïques : la fontaine, le fonteny, la mare, la marandais, l’étang du fossé, la coulée, la rivière, la riverette, le pré mouillé, le marais, le marécage, le verdet, le bouillon, le patouillard, le pré pisseux, le pré de la pissouse…
 
Le règne végétal
A toutes les époques les noms des plantes ont servi à dénommer les lieux. De la forêt primitive nos ancêtres ont conservé le chêne (les chesnes, la chénaie) ; l’aulne ( les aulnais, launay) ; le tilleul (la fontaine du thé, treillières ?) ; les châtaigniers (le châtaignier, la châtaigneraie) ; le houx (la houssais) ; le saule (la sauzaie) ; le bouleau (le boulay, le bézier rond) ; le hêtre  (fagus  en latin) (le fay, fayau, le defay) ; le cerisier (le cerisier, la grinche (cerise sauvage)) ; le charme (la charmille) ; le pommier (le pommeray) ; le noyer (la close du noyer) ; l’osier (le cherpinenteau). On retrouve encore le bois dans : le bois-guitton, les bossins, le buisson, le bois clair, le copis georges (le taillis de Georges), long luc (du latin lucus : bois), le pré de la ramée, la gouérie (du breton goat : bois).
Comme la forêt, la lande et sa végétation influencent la toponymie : la lande, la petite lande, le landais, les bruyères, la brière, les champs briands, les brosses, le pré de la brosse…
Pour épuiser la série des noms fournis par le règne végétal, citons : les roseaux, les éronces, le genet du tertre, le lin, ortais (ortie), la seiglerie, la close d’orge, les lorieux (lauriers), la vigne, le vignaud, la treille…
Forêt et landes abritaient quelques animaux à jamais épinglés sur le cadastre : les renardières, la sangle (sanglier), vireloup, les hardes, le fouchal (troupeau), le pied d’âne, la raterie, le bacal (belette).
 
L’homme
Le long travail de mise en valeur de l’espace a fortement influencé la toponymie. Le défrichement a laissé : la friche, l’aumondaie (émonder), les écomissons (émonder), les épluches, la gîte (rejet d’un bois qui vient d’être coupé), les bauches (zone boisée qui a été défrichée), le bois brûlé, le brulis, les rotis, le bucher.
Les terrains ainsi gagnés sur la forêt ou la lande sont dénommés : le pré neuf, l’île neuve. Pour les protéger des animaux sauvages ou domestiques errants, on les enclot soigneusement : l’enclos, la close, le closeau, le cloteau, les closettes, les closions, les cloisons, le clouis, la claie du bois, le renfermé, l’enfermé, l’ouche (champ clôturé par des haies d’arbres), le greleau (petite grille), les palissades, les rangées, les haies.
Progressivement l’espace cultivé s’agrandit et se spécialise : champeau, chamgai, la plaine, la gagnerie, le pré, le praud, le pâtis, le patureau, le jardin, le jardinet, le courtil (jardin), le communal, le verger, les évergers.
On définit aussi les pièces de terre par :
– Leur dimension : la longue aune (unité de mesure), la pièce, les réages, la cartronnière (de quarteron), la longrais (sillon) ;
– Leur aspect : la pièce carrée, la carrantoire (carré), le champ rond, la division, la tortière (tordu), le barbeau (pointu), la sionnière (pointu) ;
– Leur situation : la pièce du milieu, le pré du devant, le réage du haut, le bas de la charais, la cornillière (le coin), la barre (la lisière du bois), garambeau (du gaulois kar anto : village bâti au pied des rochers) ;
– Leur appartenance : pièce de la chapelle, pré de la cure, l’ouche de Gesvres, le pré l’évêque, le pré de la salle (salle désignant souvent une ancienne construction).
Le travail de l’homme est également source de toponymes :
– Les travaux agricoles : le fray (geste que l’on fait pour tasser la terre au pied d’un arbre), le chintre (bande de terre entre la haie et les sillons où l’on retourne la charrue), la binetière (second labour), le ficheteau (pointe de fer pour planter la vigne), la bergerie, les burons, l’étouble, la gribotaine (cribler) ;
– L’artisanat : la forge, la maréchalerie ;
– La meunerie : pré du moulin, la roue, pré de l’arche, la chaussée, la molinière, les molières, le molandré.
Pour désigner l’habitation les termes varient selon les époques. Au dominu (le domaine romain) succèdent : la mazère, le logis, la bourdouillière, la bourguillière (de bourdil : ferme). A proximité on trouve le four, le vivier…
Les voies de communication sont à l’origine de noms comme : les avenaux (le chemin), la belle étoile (carrefour), le pont de pierre, le pont du gué, le parellais (le pas relais), muzon (du latin mutationes : relais), la guernais (le gué René), la gare (en 1901).
L’empreinte du régime féodal est sensible dans les toponymes qui évoquent : l’alleu – terre libre de toute servitude- (la loeuf), le château (la motte) entourée de fossés (les fosses) ; l’entrée du domaine (la porte, la herse, la hussière) ; la présence seigneuriale (la pièce suzeraine, la censive).
Un autre procédé toponymique répandu consiste à accoler le nom du propriétaire au bien possédé : le champ choimet, le gué rené, le pont rouziou, la pièce du durand, la pièce à ouvrard, le pré bitaud, le pré dibon, le clos david, le champ violain, le bois guitton, le bois de busson, la noë moreau, la noë violin…
D’autres propriétaires se contentent d’accoler les suffixes aie, ais, ière, érie, à leur nom pour désigner leur domaine : la ménardais (Ménard), les bernardières (Bernard), la bernardais, les thébaudières, la renaudière, la groussinière, la chédorgère, les roberdières, la gergaudière, la rouaudière, la gréhandière, la louinière, la jaudinière, la guittonais, la rinçais, la blanchetterie, la jolivetterie…
 
L’imaginaire
Dans la désignation des noms de lieux l’imagination a aussi ses droits. Si le gros chêne, le pommier blanc, la bonne fontaine évoquent les plaisirs bucoliques et la joie de vivre, le malheur rôde autour de : malabri, mauvais tour, passe colère, les dehennes (malheur). On use aussi de la dérision : le poirier sale, le failli moulin, la rajasse (femme de rien).
Imagination et légende se mêlent dans la pièce de la galoche et le pas de pierre. Nos ancêtres avaient cru reconnaître dans un solide rocher (peut-être un menhir) de 2,27 m. de haut et 3,57 m. de tour, la galoche de Gragantua. Le sympathique géant, en route pour la presqu’île guérandaise se serait arrêté à une vingtaine de kilomètres de Treillières et là, du haut du plateau de Languin (Nort-sur-Erdre), se saisissant d’énormes blocs de granite, il joua aux palets. La galoche (le cochonnet) atterrit près de la Loeuf et les palets s’éparpillèrent autour.
 
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Ainsi expliquait-on autrefois l’origine de ces  pierres plates  et cailloux blancs qui parsèment la région et le cadastre. Dans l’une de ces pierres située près du bois des zéros, certains crurent reconnaître, dans ce qui n’était que caprice de l’érosion, la trace d’un pied. Le lieu devint le pas de pierre christianisé ensuite en pas de la Vierge.
 
 
 
Des repères historiques
Si la toponymie témoigne de l’activité humaine pour mettre en valeur le territoire, elle donne aussi quelques repères historiques.
La présence romaine est attestée par : dominu, muzon, long luc. Mais il est bien difficile de dire si un toponyme à racine gauloise (noue, barnais, garambeau, charais…) est antérieur ou postérieur à la conquête romaine. Certains noms de lieux gaulois ont pu être réactivés après le 5e siècle avec le passage des Bretons ; ainsi le Gesvres peut être attribué à l’ancien celte-gaulois voberos ou au nouveau celte-breton gover. Remarquons quand même la rareté des toponymes bretons : gesvres peut être, et la gouérie (de goat : bois).
La grande majorité des noms de lieux utilisés à Treillières sont postérieurs au 11e siècle. C’est le cas des toponymes terminés en ais, aie, ière, érie qui se multiplient en France du 11e au 13e siècles. En dehors des survivances de quelques villas gallo-romaines l’essentiel de la mise en valeur du territoire tréliérain correspondrait donc aux défrichements réalisés au Moyen Age.
Quand débute l’époque moderne (16e siècle) la toponymie est en place. Elle restera stable jusqu’au 19e siècle quand la poussée démographique et la mise en valeur des landes situées sur les plateaux amèneront la création de nouveaux lieux habités : le landais, chavagnes, la pichonnerais, la noë des trembles, la belle étoile (1840), le télégraphe et le pigeon blanc (en 1856)…
Cependant il faut considérer avec prudence les renseignements fournis par l’étude des noms de lieux. La toponymie est loin d’être une science exacte et, sans doute, des erreurs se sont glissées dans nos interprétations. Il est parfois difficile de cerner l’origine exacte d’un nom. Ainsi pour le village de la Baclais, que l’on trouve orthographié Barquelaye au 17e siècle, on peut proposer l’origine celtique bacc ou barr signifiant pointe, sommet, ou l’origine anthroponymique bassac ou bascle, nom du premier défricheur.
Pour le village de la Barnais, orthographié Baronnaye ou Barounaye au 17e siècle, nous hésitons entre le celte borna (fontaine) ou l’anthroponyme baron.
Pour le bois des zéros, orthographié bois des errauds au 17e siècle, les hypothèses tournent autour du vieux français erreau aux nombreuses significations : pièce de terre, terrain vague, voyageur, tonneau…
Nous pourrions ainsi multiplier les exemples. La toponymie ne peut suffire à expliquer les origines du peuplement mais elle fournit des indications pertinentes et indispensables à une étude basée sur les autres sources habituelles de l’historien.