L’église

Le Clocher

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Dominant le paysage rural, la verticalité des clochers, de village en village, parle d’un monde à la fois proche et lointain. Celui d’une communauté enracinée dans un territoire et une foi millénaire à l’image de l’église paroissiale point de rencontre géométrique de l’horizontalité de la terre des hommes (la nef) et de la verticalité de l’aspiration à Dieu (le clocher).
Même si cet univers est devenu à beaucoup étranger, si la croyance est en partie dévastée et l’église peu fréquentée, la silhouette du clocher a quelque chose de rassurant. Aussi modeste soit-il, le clocher de Treillières dégage un sentiment de familiarité lié à un rythme de vie rurale aujourd’hui abandonné mais qui a laissé un léger parfum de nostalgie. Registre des délibérations du Général de la paroisse au 18e siècle_thumb[2]
Nous ne savons rien du clocher qui précéda, au-dessus du porche de l’église, celui que nous connaissons aujourd’hui. Sans doute fut-il reconstruit en même temps que le reste de l’édifice en 1613 mais il devait être bien fragile, sinon malingre, car il pointe régulièrement sa petite flèche dans les délibérations du « Général de la paroisse », cet organisme chargé de gérer les biens de l’église en même temps que ceux de toute la communauté : les grands vents d’Ouest le décoiffent sans ménagement et plusieurs fois il est au bord de l’effondrement menaçant les premières tombes du cimetière qui sommeillent à son pied. Alors, faute d’argent on pare au plus pressé, une ardoise par ci, un madrier par là jusqu’au prochain orage, à la prochaine tempête.
La tempête révolutionnaire faillit bien lui faire sonner son glas. Non pas que les Républicains s’en prirent à l’église – ils se contentèrent de la vider de ses prêtres, de ses fidèles et même de ses cloches en 1793 – mais abandonné de tous sauf des corbeaux, sans voix, privé d’angélus et de joyeux carillons il prit le bourdon et commença à dodeliner sur son mur de façade lézardée.
Le retour de la paix civile et religieuse en 1801 ramena prêtres et paroissiens dont le premier soin fut de porter secours à l’église au bord de la ruine. En 1814 le conseil municipal décida de redonner sa voix au clocher muet depuis 11 ans : on acheta 2 cloches mais le pauvre campanile était si vieux, si faible qu’il n’aurait pu supporter ces deux demoiselles décidées à mener grand branle-bas. Quelques chênes et châtaigniers coupés sur les landes donnèrent au beffroi une seconde jeunesse et de solides épaules pour que (en 1820) les cloches s’y balancent en toute insouciance.
La paix revenue, l’agriculture relancée, la population de Treillières augmente et l’église s’avère bientôt trop petite. En août 1834 le curé Rigaud reçoit la somme de 4 000 F remise par un paroissien généreux, M. de Kersabiec, pour démolir et reconstruire le pignon ouest et « le clocher qui est posé dessus». Consulté, le jeune architecte nantais, François Liberge (auteur de l’église Saint-Clément de Nantes) conseille de restaurer le bâtiment dans son entier. Les travaux commencés à l’automne 1835 s’achèvent en août 1837.
 

Le clocher en gradin de 1836_thumb[2]Le pignon, seul concerné au départ du projet, est réalisé en 1836. Sa partie basse fait office de vestibule à la nef ; au-dessus on a installé une tribune à laquelle on accède par un escalier situé dans le bas-côté gauche ; le clocher s’élève au-dessus de la tribune sur un soubassement en maçonnerie dont le plan est carré ; au-dessus est le beffroi, logement réservé aux deux cloches ; il s’agit d’une charpente à 8 pans recouverts de zinc ; la flèche, couverte en ardoises est posée sur le beffroi avec un léger décrochement ce qui donne l’impression d’un clocher en gradin ; une pointe en plomb coiffe la flèche à 23 m du sol.

L’inspecteur de la Commission départementale des Bâtiments trouva que « l’architecture de la nouvelle façade tient un peu du style du Moyen Age modifié par quelques souvenirs d’architecture d’une époque antérieure ».
 
Façade et clocher dans la configuration de 1853 (montage)_thumb[2]
 
Les feuilles de zinc du beffroi n’étaient pas soudées mais fixées par des agrafes et crochets. Le vent malin s’en amusa, la tempête les emporta comme feuilles mortes si bien qu’en 1853 on se décida à les remplacer par des ardoises ce qui obligea à modifier la forme du clocher. On lui donna «la forme d’un dôme au lieu de celle de gradin qu’il a actuellement».
Ce modeste clocher dont le coq s’évertue, en vain, à vouloir picorer les nuages n’a pas changé dans sa forme depuis 1853 ; il porte allègrement ses presque 160 ans. Pourtant il a bien failli disparaitre victime de l’orgueil d’un curé entreprenant : Pierre Menoret.
Le curé Ménoret arrive à Treillières en 1861 ; il y restera 38 ans. C’est un curé de plein vent ; un homme sanguin, autoritaire ; un bâtisseur aussi. En 1869 il fait entièrement reconstruire le presbytère qui datait de 1759. A la place de la vieille chaumière délabrée il fait édifier une belle maison bourgeoise très confortable pour l’époque.

Après s’être bourgeoisement logé, il entreprend de reconstruire l’église. Il prétend que c’est Dieu lui-même qui le lui a ordonné. Pierre Menoret n’est pas un illuminé mais simplement un curé de son époque saisi par la fièvre bâtisseuse du moment et qui se justifie comme il peut. Dans le diocèse il en pousse partout des églises, plus hautes les unes que les autres : 168 églises sont construites ou reconstruites dans la 2e partie du siècle. A la pression démographique s’ajoute celle de l’Evêque et de l’Eglise en général, triomphante dans ces années « d’ordre moral » qui suivent la répression de la Commune de Paris en 1871. Et puis, pour un homme fier comme le curé Ménoret, comment supporter cette modeste église de Treillières dont le petit clocher fait le dos rond quand, dans les paroisses voisines, fleurissent les ogives néo-gothiques, s’élancent vers le ciel de fiers clochers ?

Le clocher imaginé par M. Fraboulet_thumb[3]En 1891 le curé Ménoret consulte l’architecte Mathurin Fraboulet qui a déjà réalisé pour lui le presbytère de Treillières quelques années plus tôt. Il avait alors 30 ans. Depuis sa réputation a grandi ; il a construit de nombreux édifices à Nantes et récemment des églises à Cordemais, Bouvron, N-D des Landes. Alors que la plupart de ses collègues ont opté pour le style néo-gothique, lui s’est spécialisé dans le néo-roman voire dans le néo-romano-byzantin comme pour la basilique Louis-Marie Grignion de Montfort à Saint-Laurent-sur-Sèvres (1889 – 1892) qu’il vient de terminer.
Concernant l’église de Treillières Fraboulet propose de la reconstruire, plus haute et surtout plus longue en supprimant le pignon et le clocher en place pour les remplacer par un nouveau pignon et un nouveau clocher dans le style néo-romano-byzantin qu’il apprécie tant.

Le chantier de la nouvelle église lancé au printemps 1893 cumule vite les difficultés : brouille entre le curé et l’architecte qui préfère abandonner ; démission du chef de chantier… et surtout problèmes financiers récurrents qui interrompent à plusieurs reprises les travaux pendant quelques mois. En avril 1894 il n’y a plus un sou en caisse et il reste encore la moitié de la nef à construire. Grâce à un prêt du curé on termine la nef jusqu’à l’ancien clocher en sursis. Mais, faute de nouvelles ressources, on renonce à le démolir, à rajouter une travée supplémentaire à l’église. Il faut faire son deuil de l’orgueilleux clocher de Fraboulet et accepter de conserver l’ancien qui, collé maintenant au toit surélevé de la nef, semble encore plus petit dans sa crinoline d’ardoises grises.

 

La surélévation de la nef supprime la (déjà) faible élancée du clocher_thumb[3]

 

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Le petit clocher de 1836, remanié en 1853, souvent menacé par les hommes et les intempéries bien qu’il n’ait jamais taquiné les nuages, continue donc son parcours immobile au-dessus d’une campagne mouvante, entrainant les hommes dans la ronde fatale de son carillon tantôt gai, tantôt triste : baptême, mariage, sépulture. Personne d’ailleurs ne lui en tient rigueur ; bien au contraire ! Ce gardien hiératique est l’objet de soins constants.

Image1En octobre 1935, au temps du curé Prévert des fissures apparaissent dans le clocher descendant du haut du beffroi jusqu’au portail. Des morceaux de tuf jonchent le sol. Le clocher et la tribune s’affaissent et se décollent peu à peu de la nef ! On installe des étais pour consolider la façade et on cesse de sonner les cloches se contentant d’un tintement. De mars 1936 à mars 1937 la façade, le clocher, la tribune, la voûte de l’église sont consolidées. Le 3 septembre 1939 c’est d’un clocher réparé que s’égrène le glas annonçant la déclaration de la guerre.
 
La façade de l'église est consolidée et ravalée (1936 -37)_thumb[3]La paix revenue le vieux clocher succombe au charme de la fée électricité : le 8 mai 1956, le décès de « Tante Rose », chaisière et carillonneuse amène l’électrification des cloches et le 17 juillet suivant l’installation d’une horloge électrique. Le ciel, qu’on n’avait peut-être pas mis au courant, n’apprécia guère qu’on lui dérobe sa puissance ; il y eut des tensions et la foudre tomba sur le clocher, le 23 décembre 1957, dévastant la toiture et décapitant le pauvre coq perché là-haut.
 

Image2Le jour de Pâques 1958 on célébra la résurrection du clocher de Treillières par la pose d’un nouveau coq ; on choisit, parmi les nombreuses symboliques de cet animal, la plus ancienne de la chrétienté : celle de l’annonce d’un jour nouveau (le coq assimilé au Christ porteur de l’annonce d’un monde meilleur).

 

Modeste capuchon d’ardoises grises posé sur une petite église tournant le dos à l’animation du centre-ville, le clocher de Treillières n’est plus le point de repère d’une société paroissiale. Mais sa silhouette figée dans le temps rassure celui qui, au retour d’un voyage, la redécouvre comme s’il s’agissait du léger panache de fumée s’élevant du logis familial.
 
« Heureux qui comme Ulysse… » retrouve la silhouette tutélaire de son clocher.
Treillieres  vers 1940_thumb[2]
 
Jean Bourgeon