L’inauguration de la voie ferrée Nantes-Blain – 25 août 1901

 

Croisement de trains en gare de Treillières vers 1910

Le dimanche 25 août 1901 est inaugurée, à toute vapeur,  la voie ferrée reliant Nantes à Blain. Cet événement d’une remarquable banalité, à une époque (la Belle Epoque) où l’on pose un peu partout des rails sur la prairie à tel point que la plupart des journaux locaux n’en font pas mention,  prend avec le recul l’allure d’un phénomène extra-ordinaire par tout ce qu’il révèle sur notre région au tournant du 20e siècle. Avant de monter dans le train inaugural grimpons dans la machine à remonter le temps.

Affiche publicitaire de la Compagnie des Chemins de Fer d'Orléans
C’est le 17 août 1851 que la première locomotive arrive à la gare de Nantes (située dans le quartier Richebourg à l’emplacement de la gare actuelle) en provenance de Paris (gare d’Austerlitz) via Orléans et Angers. Ce premier train appartient à la Compagnie des Chemins de Fer d’Orléans. Celle-ci, en 1866, relie Nantes à Rennes par 152 km de voies ferrées passant par Redon. Dans un contexte de concurrence entre compagnies privées, le 25 novembre 1872 le conseil municipal de Treillières est sollicité pour donner son avis sur un autre trajet Nantes-Rennes passant par Blain et Beslé-sur-Vilaine dont la gare principale d’arrivée à Nantes se situerait sur la Prairie au Duc. Les élus municipaux, qui imaginent tout l’intérêt d’une telle ligne pour leur commune, demandent que l’on change l’emplacement de la gare-terminus à Nantes, préférant « pour les marchandises et les voyageurs une gare d’arrivée établie entre l’Erdre et la route de Vannes », c'est-à-dire dans le secteur Bretagne-Talensac où les paysans de Treillières vont vendre légumes, beurre et bétail.

 

 

 

 

La Compagnie des Chemins de Fer de Nantes ne les écoute pas. Elle construit sa gare, sous la forme d’un bâtiment-voyageurs en planches sur la Prairie au Duc, modifie en 1877 le tracé du trajet Nantes-Rennes en passant par Châteaubriant (125 km), fait faillite (1878) puis est reprise par l’Etat qui édifie à la place de la station en bois une gare monumentale connue sous le nom de Nantes-Etat (actuelle Maison des syndicats sur l’ïle de Nantes). Peu à peu les Treilliérains prirent l’habitude d’expédier et de recevoir bétail, foin, engrais et marchandises diverses par la gare de Sucé.

En 1875, le réseau ferroviaire français de grandes lignes est terminé, la récession économique s’est installée, il faut adopter un ambitieux programme de grands travaux pour relancer l’activité. Ce sera le plan Freycinet, du nom du ministre des Travaux publics (1877 – 1879). Déposé devant le Parlement en 1878 et voté le 17 juillet 1879, il prévoit la construction de 181 nouvelles lignes de chemin de fer d’une longueur de 8848 km (non compris les lignes d’intérêt local dont les projets seront approuvés ultérieurement). La liaison Beslé – La Chapelle-sur-Erdre via Blain figure au 61e rang des projets. Le 21 août 1880, le conseil général de la Loire-Inférieure s’engage à verser une subvention de 1 173 480 francs pour la nouvelle ligne qui, forte de ce soutien, est déclarée d’utilité publique le 3 août 1881. Ainsi ressuscitait la liaison directe Nantes-Rennes de 1872, le tronçon prévu venant se greffer sur l’axe Rennes-Nantes à Beslé au nord et à La Chapelle-sur-Erdre au sud.

C’est la Compagnie des Chemins de Fer de l’Ouest qui obtient la concession de la nouvelle ligne le 17 juillet 1883, mais il faudra attendre 18 ans pour voir passer le train à Treillières. Etablir un tracé de voies ferrées c’est réveiller de nombreuses querelles de clocher, heurter des intérêts particuliers, inquiéter le voisinage… Sur la commune de Treillières, 194 parcelles cadastrées sont touchées par l’expropriation pour cause d’utilité publique . Si certains propriétaires acceptent les indemnités proposées, d’autres les refusent et le tribunal de première instance de Nantes rend encore des jugements d’expropriation en 1898 alors que le premier coup de pioche a été donné l’année précédente.

Le réseau de la compagnie des Chemins de Fer de l'Ouest en 1902

La construction de la voie ferrée se fit en deux temps : le premier tronçon entre Blain et La Chapelle-sur-Erdre (28,6 km) fut mis en service le 19 août 1901 et inauguré 6 jours plus tard; le second tronçon entre Blain et Beslé (30,1 km) ne sera ouvert à la circulation des trains que le 1er  juillet 1910.

En bleu, le tracé de la ligne de Nantes à Blain qui se greffe sur la ligne Nantes-Châteaubriant à La Chapelle-sur-Erdre

Nous sommes le dimanche 25 août 1901 dans la salle des pas perdus de la gare de Nantes-Etat. Il est 8 h 30, dehors l’orage gronde ; il pleut sur Nantes. Le journaliste du « Populaire » chargé de couvrir l’événement fait des mots : « inauguration en grande pompe » note-t-il, avant de rajouter : « La nouvelle ligne est suffisamment arrosée pour qu’on lui prédise un bon rapport ». Son collègue de « L’Espérance du peuple » estime lui, avec un sourire narquois, que la fête est gâchée. Ils ne sont que deux journalistes à rendre compte de l’inauguration. Le grand quotidien local « Le Phare » n’en dit mot. A l’inverse, son concurrent « Le Populaire », de tendance radicale, anticléricale et ardent soutien du gouvernement « de défense républicaine » a choisi de faire un récit détaillé de l’inauguration : personnalités, déclarations, décorations des gares, menu, météo… Le journal monarchiste « L’Espérance du peuple » ne retient du voyage qu’une impression d’ensemble, oublie les cérémonies qui se déroulent dans les villages traversés se contentant des festivités à Blain. Deux journaux, deux  tendances politiques totalement opposées, deux visions déformées d’une inauguration très politisée de 30 km de voie ferrée.

Le train spécial composé de cinq voitures de 1re classe conduit par M. Péreire, chef mécanicien du dépôt du Mans, assisté de M. Lanois, sous-inspecteur de la traction va partir dans quelques minutes. Le temps de revenir sur le contexte politique de la France en ce moment.

Dessin de Caran d'Ache dans Le Figaro du 13 février 1898
1901 : les Français sont toujours sous le coup de l’affaire Dreyfus. En janvier 1898, Emile Zola a lancé son terrible « J’accuse ! » à la une de « L’Aurore ». Le pays s’est divisé en deux camps violemment hostiles. D’un côté les partisans de Dreyfus, fermes soutiens de la République ; de l’autre, les adversaires de celle-ci et accusateurs du capitaine Dreyfus. A Nantes des milliers d’antidreyfusards ont défilé dans les rues du centre-ville brisant les vitrines des magasins tenus par des juifs et s’en prenant à leurs propriétaires.

 

 

 

 

 

Un an plus tard, en février 1899, le président de la République, Félix Faure, rend son dernier soupir alors qu’il est en pleins ébats amoureux avec sa maîtresse. Georges Clemenceau tente un mot : « Il se croyait César il n’était que Pompée ». On rit. Lors des obsèques du président, Paul Déroulède, l’un des leaders de la droite nationaliste et antidreyfusarde tente un coup d’Etat. On l’emprisonne. Emile Loubet devient président de la République. Alors qu’il assiste aux courses à Auteuil, le 18 juin 1899, un groupe d’antidreyfusards le prend à partie. Le chef présidentiel échappe à la canne d’un agresseur mais pas le couvre-chef. A travers un canotier défoncé c’est la République qui souffre, qui est menacée. Emile Loubet nomme Pierre Waldeck-Rousseau président du Conseil, le 22 juin 1899, en lui demandant de former un gouvernement de défense républicaine. L’avocat nantais ratisse large réunissant dans son ministère toutes les tendances républicaines depuis le général Galliffet, « le massacreur de la Commune » en 1871, jusqu’au socialiste Millerand. Waldeck-Rousseau cumule le poste de président du Conseil et celui de ministre de l’Intérieur. Bientôt pour les Nantais Waldeck rimera avec commissariat.

Pierre Waldeck-Rousseau
Pierre Waldeck-Rousseau est né à Nantes en 1846. Il est le fis de René Waldeck-Rousseau (1809 – 1882) un avocat qui fut à deux reprises maire de Nantes. En 1863, René a acheté un domaine à Vilhouin, sur la commune de Bouvron, à mi-chemin entre le bourg de Bouvron et celui de Fay. Il y a fait construire un château où la famille passe les beaux jours. Après leurs études à L’Externat des Enfants-Nantais, ses deux fils Pierre et Louis choisissent des voies différentes. Pierre s’oriente vers le barreau et la politique. Louis, bien qu’aussi brillant orateur que son frère, choisit de mettre en valeur le domaine de Vilhouin en s’y livrant à une agriculture novatrice. Il fonde avec Bizeul le comice agricole du canton de Blain, devient maire de Bouvron et juge de paix du canton.

 

Louis Waldeck-R. dans Ouest-Eclair du 18 août 1927

Le château de Vilhouin qui sera détruit lors des combats de la Poche de Saint-Nazaire en 1945

René Waldeck-R. et Elisabeth Tardieu
Louis à un fils, René qui opte pour la carrière politique devenant, en 1899, le chef de cabinet de son oncle Pierre, président du Conseil. Il vient d’épouser Elisabeth Tardieu la sœur d’André Tardieu secrétaire de Pierre Waldeck-Rousseau et promis à un brillant avenir ministériel. Chez les Waldeck on gouverne en famille. En juillet 1901, un mois avant l’inauguration de la ligne Nantes-Blain, Waldeck-Rousseau fait voter une loi sur les associations restée célèbre sous le nom de « Loi de 1901 ». Elle est perçue alors, par les cléricaux, comme une arme brandie contre eux, ce qui sera effectivement le cas quelques années plus tard, en 1904, quand le ministère Combes s’en servira pour interdire aux congrégations religieuses le droit d’enseigner.

C’est donc dans un climat de tension et sous l’orage que l’on s’apprête à inaugurer deux rails, un à droite et l’autre à gauche, qui courent la campagne sans se chercher querelle. Ils sont bien les seuls.

La locomotive aussi est sous pression. Toute ferraillante elle démarre dans un nuage de vapeur traînant derrière elle dans des wagons de première classe des personnalités de seconde classe. Au Pays nantais on avait annoncé (rêvé ?) que le train inaugural transporterait l’enfant du pays : Pierre Waldeck-Rousseau. Mais le chef du gouvernement s’est désisté : le travail ? Les vacances ? Dans son allocution, tout à l’heure, le maire de Fay (bourg proche du domaine de Vilhouin) regrettera son absence : «  Depuis longtemps, nous attendions cet heureux jour, car ce tronçon de Nantes à Blain ne peut qu’activer le commerce de cette région jusqu’alors déshéritée à tous les points de vue. Mais à notre joie d’aujourd’hui se mêle un véritable regret de ne pas voir celui que nous considérons tous ici et avec un légitime orgueil comme un enfant du pays, M. Waldeck-Rousseau, président du Conseil des ministres ». Le maire de Fay regrettera aussi l’absence du ministre des Transports, Baudin. Celui-ci, un radical, a trouvé que cette petite ligne ne menait pas assez grand train pour qu’il se déplaçât. Il fait déclarer à son représentant le jour de l’inauguration : « Ce n’est pas, croyez-le bien, que je veuille méconnaître l’importance de ce chemin de fer, les lignes d’intérêt local sont toujours des plus utiles » ; mais deux lignes après, s’adressant aux élus locaux, il évoque avec condescendance : « votre petit chemin de fer ». Un petit chemin de fer qui n’emmènera donc aucun ministre tout autour de la terre dans un wagon doré

En ce mois d’août, où l’été assèche les ministères, on a fini par trouver un conseiller d’Etat de faction. Il s’agit de M. Pérouse, directeur des chemins de fer au ministère des Travaux publics. C’est lui qui, assisté d’un ingénieur en chef du ministère des Travaux publics et d’un ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, est désigné pour représenter le gouvernement dans le cortège inaugural en compagnie du préfet de la Loire-inférieure, Hélitas, un ardent républicain qui s’est mis à dos le conseil général, dominé par l’aristocratie terrienne, et qui passe pour le diable incarné auprès des cléricaux. Le sous-préfet de Saint-Nazaire est aussi du voyage avec bien sûr le président du conseil d’administration de la Compagnie de l’Ouest, M. Gay,  assisté de son adjoint, M. Bonnet, ingénieur en chef.

Pour donner un peu de lustre au cortège inaugural, faute de ministre, on avait pensé y joindre le neveu et chef de cabinet du premier d’entre eux : René Waldeck-Rousseau. Mais deux jours avant l’inauguration il s’est désisté : « Retenu que je suis à Paris par le règlement des préparatifs du voyage de l’Empereur de Russie en France » (télégramme au préfet). Certes, le tsar de toutes les Russies, Nicolas II, doit venir en France, mais du 18 au 21 septembre 1901 ; rien ne presse. Il a aussi écrit au maire de Blain, M. Pouplard, qui lors du banquet inaugural ce midi, après avoir lu le mot d’excuse du jeune Waldeck, regrettera publiquement l’absence des ministres annoncés : « Par leur présence et leurs éloquentes paroles, ils auraient réconforté ceux qui combattent ici le bon combat, souvent sans trop d’espoir de réussir contre la réaction si forte encore dans notre contrée ; ils auraient encouragé les faibles et prouvé que la République ne craignait plus ses adversaires, consciente qu’elle est désormais de son droit et de sa force. Nous comprenons néanmoins le repos qu’ils prennent en ce moment et qu’ils ont si légitimement gagné ». Touchant appel au secours d’un républicain, un Bleu, cerné par un océan de Blancs. « Pas de ministres, de simples doublures » ricane le journaliste de « L’Espérance du peuple ». Pauvres campagnes nantaises, si lointaines pour les ministres de la République mais si proches des châteaux de l’aristocratie terrienne et conservatrice. Aujourd’hui, le train s’y aventure comme en terre de missions. Laissons la parole au journaliste du « Populaire » :

 « Nous sommes sur l’ancienne ligne de Châteaubriant jusqu’à la première station à La Chapelle-sur-Erdre. On n’a pas fait grand frais à La Chapelle-sur-Erdre, pas un drapeau et quelques curieux seulement. Il ne faut pas s’en étonner autrement ; la municipalité est royaliste ici, et le passage d’un représentant du gouvernement républicain a suffi pour la mettre dans tous ses états. La ligne de chemin de fer pourtant n’a pas de couleur politique, les disques sont blancs et rouges et La Chapelle bénéficiera du nouveau tronçon autant que les autres communes.

Plusieurs républicains ont tenu cependant à venir saluer au passage le délégué du Ministre : MM. Richard, juge de paix ; Rozier, délégué cantonal ; Garnier, instituteur ; le receveur d’enregistrement. Très aimable, M. Pérouse descend pour saluer ces messieurs, mais aucun d’eux n’a préparé le laïus qu’on pouvait prévoir. Et c’est le conseiller d’Etat qui leur adresse le premier la parole et qui leur dit finement : Eh bien, vous êtes venus voir passer le train d’inauguration. Oui, monsieur, répond quelqu’un, et c’est fini. Un nouveau voyageur prend place dans le train, M. Poisson, ingénieur des Ponts et Chaussées de Saint-Nazaire, puis nous repartons. Nous sommes cette fois sur la ligne neuve, nous entrons ainsi en pays foncièrement, sincèrement républicain ; les réceptions vont changer ».

 

Ce pays « foncièrement, sincèrement républicain » dont parle le journaliste du « Populaire » c’est Treillières. Ce matin, il a trempé sa plume dans de l’encre résolument républicaine. Encre sympathique pour ses lecteurs habituels, qui convient à la propagande mais ne résiste pas au révélateur de l’Histoire. Grimpons encore une fois dans le wagon à remonter le temps.

Depuis 1848 et l’institution du suffrage universel pour les hommes, les Treilliérains n’ont accordé que des miettes aux candidats de la République lors des élections législatives ou cantonales, réservant leurs suffrages aux conservateurs, qu’ils soient bonapartistes ou monarchistes. En 1887, le sabotier du bourg, E. Blourde, écrit dans une lettre adressée au journal « Le Phare » pour dénoncer les pratiques politiques locales : «  La commune de Treillières est essentiellement religieuse et monarchique, les républicains sont très rares et ils se gardent bien de faire connaître leur opinion, ils seraient très mal vus ». L’année suivante, le 12 mai 1898, en pleine affaire Dreyfus, les électeurs sont appelés aux urnes pour élire les députés. Dans la 3e circonscription de Loire-Inférieure les Treilliérains ont le choix entre : le député sortant, le royaliste Henri Le Loup de La Biliais qui se présente comme « Catholique… Français avant tout…», condamne la « minorité juive et cosmopolite » proclame enfin: « La France aux Français ! » ; et un républicain très modéré Louis Dubochet, négociant à Nantes, conseiller général du canton du Loroux-Bottereau, qui se présente comme un homme d’action défendant le viticulteur, le laboureur, le commerçant et un adepte du protectionnisme. Il est si modéré que le mot « République » n’apparaît pas dans sa profession de foi où il tient à préciser que « Nos sentiments religieux sont les mêmes ; je saurai les faire respecter et les défendre ».

Louis Dubochet est élu député avec 51%  des voix, mais à Treillières son républicanisme modéré humecté d’eau bénite ne lui attire les suffrages que de 149 électeurs contre 273 à son rival monarchiste. Quatre ans plus tard, aux élections législatives de mai 1902 Louis Dubochet ne se représentera pas. Il sera remplacé comme candidat républicain par un ouvrier bordelais totalement méconnu : Dominique Labassière. Malgré la présence de Waldeck-Rousseau à la tête du gouvernement, malgré le passage du train républicain l’année précédente c’est le nouveau candidat conservateur de la circonscription, le marquis de Dion, qui s’est présenté en défenseur de la religion et adversaire de la République, des juifs et des francs-maçons, qui l’emportera à Treillières avec 100% des suffrages (356 voix) dans un scrutin marqué par une forte abstention (30,9% contre 20,7% en 1898). Même les rares républicains locaux ne soutiendront pas le trop rouge Labassière qui laissera le marquis de Dion devenir le député le mieux élu de France (21 674 voix contre 143 à Labassière).

Alors Treillières pays « foncièrement, sincèrement républicain » ? Son maire, Jean Enaudeau sans doute ; bien que ! Mais remontons dans le train inaugural qui arrive en gare.

La gare de Treillières ; au bout du quai à gauche on aperçoit la maisonnette du garde barrière du passage à niveau (PN 35)

La commune s’est mise en frais pour accueillir les personnalités officielles : 400 francs dont 160 francs pour la décoration de la gare, 181,60 francs de frais de bouche et 57,40 francs pour les illuminations et le feu d’artifice en soirée. Laissons le journaliste foncièrement républicain du « Populaire » conter l’inauguration de la gare de Treillières.

« Treillières s’honore d’avoir à sa tête le doyen des maires du département, M. Enaudeau, vieillard de 80 ans, républicain de vieille souche, universellement estimé et aimé.

La gare est fort joliment décorée de drapeaux tricolores placés à profusion ; les écoles qu’on aperçoit au loin sont également pavoisées.

A l’arrivée du train, M. Enaudeau s’avance, escorté de tout son conseil municipal. M. le Préfet le présente à M. Pérouse comme le doyen des maires de la Loire-Inférieure et comme l’un des plus fermes républicains de la contrée. M. Pérouse est heureux de saluer M. Enaudeau. L’honneur est pour nous, répond le maire qui présente ensuite son Conseil municipal au grand complet et que de nombreux habitants de la commune ont accompagné ; nous sommes heureux et flattés à la fois de recevoir ici le représentant d’un gouvernement que nous aimons et que nous respectons.

On passe dans la salle d’attente, où le champagne est servi. M. Bourgeois, instituteur, présente trois fillettes qui remettent à M. Pérouse, à M. le Préfet et à M. le Sous-préfet de Saint-Nazaire de magnifiques bouquets noués de rubans tricolores. On a eu l’heureuse idée de faire souhaiter la bienvenue au délégué du Ministre par l’une des fillettes, Marie Robert, qui lit le compliment suivant :

 

Messieurs,

Pour la première fois, des représentants du Gouvernement de la République honorent de leur visite notre petite localité. Soyez persuadés que la population tout entière dont je suis ici l’interprète, pénétrée d’un profond sentiment de reconnaissance, gardera un long et fidèle souvenir de votre délicate attention.

Je termine, Messieurs, en vous priant de vouloir bien accepter ces modestes fleurs comme gage de notre vive gratitude.

 

M. Pérouse, très touché, remercie l’enfant : « Vous êtes l’avenir, lui dit-il, et il m’est heureux de vous saluer, après avoir rendu hommage au passé, que représente si dignement M. le Maire ».

 

M. Enaudeau prend à son tour la parole et prononce une courte allocution : « Le Conseil municipal de la commune, sur mon invitation, s’est joint tout entier à moi pour souhaiter la bienvenue aux hauts dignitaires, représentants de notre gouvernement qui ont bien voulu s’arrêter dans notre petite station. A M. Pérouse, conseiller d’Etat, à M. le Préfet de la Loire-Inférieure, à M. le Président du conseil d’administration des chemins de fer de l’Ouest, à MM. les ingénieurs.

Nous avons beaucoup à vous remercier, messieurs et nous sommes très reconnaissants de l’honneur que vous avez bien voulu nous faire en mettant pied à terre pour la première fois sur le sol de notre pays. Ce sera un souvenir inoubliable pour les habitants de cette commune.

Buvons, Messieurs, à la prospérité du chemin de fer, à la santé du Président de la République, à nos ministres, au chef de notre département ».

M. Pérouse répond : « Je serai très heureux, Monsieur le Maire, de rapporter vos souhaits à M. le Président de la République. Vous voulez bien boire à notre santé, permettez-moi, à mon tour, de boire cordialement à la vôtre. Vous avez du reste, fort bien fait les choses pour nous soigner et je vous en remercie ».

« Ce que nous vous avons offert, Monsieur le Conseiller, répliqua le vieux maire, est offert de bon cœur, je vous assure, et c’est offert surtout par un vieux et sincère républicain ».

Les flûtes où mousse le champagne s’entrechoquent, puis le vénéré maire de Treillières profite de l’occasion pour remettre à M. le Directeur des Chemins de fer une pétition demandant la création d’une barrière à l’endroit où la ligne coupe la route du cimetière près de Vireloup. C’est un endroit très passager où défilent, par jour, plus de deux cents bêtes à cornes, allant à la pâture où rentrant à l’étable.

M. Pérouse examinera, dit-il, avec bienveillance, la pétition, encore qu’il soit prouvé que les accidents sont excessivement rares aux passages où il n’existe aucune barrière. M. Enaudeau remet encore à M. le conseiller d’Etat deux pétitions, l’une en faveur de l’agent-voyer de la commune en service depuis trente ans au même poste ; l’autre, en faveur du brigadier de gendarmerie.

Les vingt minutes d’arrêt sont écoulées ; on regagne le train, et notre wagon reçoit deux voyageurs de plus, M. Enaudeau et son adjoint, M. Guichard.

La pluie tombe toujours ; mais à l’horizon le ciel paraît cependant se découvrir ; c’est de bon augure pour l’après-midi.

A cent mètres de la gare, M. Enaudeau nous signale le passage dangereux. De chaque côté de la voie, en effet, un véritable troupeau de vaches s’espace. La réclamation est trop bien présentée pour que satisfaction n’y soit pas donnée. M. Enaudeau aura sa barrière.

Nous filons maintenant à toute vapeur et le maire de Treillières et son adjoint nous font admirer avec une fierté légitime les champs fertiles dont le damier s’étend sur un emplacement qui n’était il y a vingt ans qu’une lande sans fin, improductive et inculte ». (En 1902, le préfet acceptera la construction d’une maison de garde au passage à niveau du chemin rural n° 12 dit « du cimetière ». Ce sera le troisième passage à niveau gardé de Treillières après ceux de La Belle-Etoile (sur la R N 137) et de la gare. Il y aura au total 11 passages à niveau sur la commune, la plupart à l’intersection de chemins vicinaux).

 

Jean Enaudeau « vieux et sincère républicain » comme il se décrit lui-même  prend en marche le train de la République. Il y est monté très tôt mais, s’il n’en est pas descendu vraiment, il a plus fréquenté le wagon de queue que la locomotive. Retour dans le wagon à remonter le temps.

Jean Enaudeau est né en 1822 à La Chapelle-Basse-Mer dans une famille de laboureurs. Devenu marinier de Loire il fait un heureux mariage en 1854 avec une jeune veuve fortunée ce qui lui permet de se lancer dans le commerce ; il choisit celui des engrais, florissant à l’époque. Il achète des terres sur Treillières et construit à Gesvres une maison qui lui sert de magasin. Il avait fréquenté les milieux républicains de Nantes dans sa jeunesse ce qui explique qu’en 1870 Ange Guépin devenu préfet (et qui fut quelque temps producteur d’engrais) le nomme à la tête de la commission municipale de Treillières. Aux élections municipales de 1871 il est battu mais il a plus de chance en 1874 et devient conseiller municipal. Enfin, le 9 février 1890 il devient maire de Treillières. Pour se faire accepter dans la commune il a dû remiser ses opinions républicaines. En 1887, E. Blourde dit de lui : « Il semble n’avoir aucun parti à Treillières mais on le soupçonne d’être républicain à Nantes ».

Le nouveau maire, chevalier du mérite agricole, habite à Nantes, route de Rennes, et chaque fois qu’il vient à Treillières son paletot républicain s’effiloche le long du chemin et il se retrouve en gilet blanc devant son conseil municipal conservateur bon teint. Les débuts sont difficiles. En avril 1893 il présente sa démission au préfet mais celui-ci la refuse craignant peut-être de voir à la tête de la municipalité un maire moins favorable à la République : « Je vous serais reconnaissant de revenir sur votre détermination et de continuer à rendre à cette commune les services dévoués que j’apprécie hautement » (23 avril 1893). De son mandat on retiendra, outre l’inauguration de la gare, la remise en ordre du fonctionnement municipal.

En cette année 1901, il décide de transférer la mairie à … la mairie. Le premier maire de la commune, l’abbé Nerrière curé de la paroisse élu en février 1790, réunissait son conseil municipal à la sacristie. Son successeur, Alexandre Vincent, élu en février 1791, installa la mairie dans son auberge de Gesvres. Elle y restera jusqu’en 1901 bien qu’une pièce ait été prévue pour servir de mairie dans la première école publique de Treillières construite en 1836 par Alexandre Vincent (fils) aubergiste. J. Enaudeau ramène bureaux et archives de la municipalité dans les pièces disponibles de l’école. Celle-ci s’avérant trop petite et inadaptée on décidera, en 1908, de construire une nouvelle école-mairie, toujours en place. J. Enaudeau crée aussi un poste de secrétaire de mairie (il n’y en avait pas avant lui) qui est confié à l’instituteur, M. Bourgeois. En plus de sortir la municipalité d’une auberge pour l’installer dans des murs républicains J. Enaudeau raccroche Treillières à la République par de menus signes : en 1894, la commune verse 20 francs à la ville de Lyon pour ériger un monument à la mémoire du président de la République, Marie-François Sadi Carnot, assassiné par l’anarchiste Caserio en 1887 ; chaque année il donne un peu de lustre à la Fête nationale en faisant tirer un feu d’artifice, à Gesvres d’abord puis, à partir de 1902, au bourg, le 14 juillet. Comme cela coûte cher le maire demande et obtient chaque année 30 francs de la préfecture. Mais il en aurait fallu davantage pour que les Treilliérains soient éblouis par la République !

A partir de l’automne 1902 Jean Enaudeau âgé et malade ne paraîtra plus au conseil municipal de Treillières où il a été réélu en 1892, 1896, 1900, reconduisant à chaque fois la même équipe… sauf les morts. Il décèdera le 19 septembre 1904.

Locomotive de la Compagnie des Chemins de Fer de l'Ouest en service en 1901

Maintenant, le petit train inaugural s’en va dans la campagne panache au vent. Il arrive à Vigneux  vers 10 heures sous une pluie battante. La gare est assez éloignée du pays, « cependant de nombreux républicains ont tenu à venir saluer au passage les représentants du gouvernement ». (Le Populaire). Le maire, Deniaud, accompagné de son conseil municipal souhaite la bienvenue aux voyageurs sur « le territoire de la commune républicaine de Vigneux ». En retour il reçoit la médaille d’officier d’académie.

La gare de Vigneux-La Paquelais

Le petit train reprend son chemin de traverses qui zigzade dans la campagne pour arriver à Notre-Dame-des-Landes où la prochaine visite du tsar en France a donné des idées à la municipalité : « La décoration de la gare mérite ici une mention spéciale. Les couleurs françaises et les couleurs russes s’y allient d’une façon très pittoresque ; des guirlandes de feuilles de houx et de fleurs courent sur la façade d’une fenêtre à l’autre. La foule est nombreuse, et c’est par les cris de « Vive la république ! » qu’on accueille M. Pérouse » (Le Populaire).

 

Le maire, Guillaume Legoux en fonction depuis 23 ans, prononce un discours ventant ses réalisations (routes, école…) et présente sa commune « Une population peu fortunée et peu favorisée par la nature, mais du moins bienveillante et sympathique au gouvernement auquel elle a demandé beaucoup et demandera encore beaucoup. Le chemin de fer, j’en suis persuadé ouvrira une ère nouvelle lui permettant de s’alimenter plus facilement et en même temps d’expédier les produits de son sol plus avantageusement ».

M. Pérouse félicite, remercie et après avoir reçu un bouquet offert par une petite fille remonte dans le train pour l’étape suivante Fay où se renouvelle le cérémonial habituel : discours du maire, réponse du délégué ministériel, remise de bouquet par une petite fille et un petit garçon (le fils du garde-champêtre).

La gare de Notre-Dame-des-Landes en 1901 et celle de Fay, aujourd'hui (ci-dessous).

Enfin le train inaugural arrive à Blain où « une foule énorme se presse à l’arrivée. Devant la gare sont rangés les gendarmes et leur chef, les pompiers, la section des Vétérans des armées de terre et de mer, la Philarmonique de Redon. M. Pouplard, maire, vient recevoir M. Pérouse et tous les personnages officiels. Il est accompagné des membres du Conseil municipal et de nombreux habitants de Nantes, originaires de Blain… M. Pouplard souhaite la bienvenue au délégué du Gouvernement de défense républicaine… M. Pérouse remercie, puis il salue M. Waldeck-Rousseau, juge de paix, frère de M. le Président du Conseil, qui lui est présenté. Il passe ensuite rapidement devant les gendarmes, les pompiers et les vétérans pendant que la musique joue la Marseillaise.

Immédiatement le cortège se forme. La Philarmonique de Redon prend la tête suivie des inaugurateurs, de la municipalité de Blain, des autorités du canton, des maires, des conseillers municipaux des localités environnantes et débouche sur l’avenue de la gare admirablement décorée. Tout d’abord une guirlande très réussie frappe l’œil : « Soyez les bienvenus ! ». Partout ce ne sont que drapeaux, trophées, écussons, guirlandes de verdure, lanternes vénitiennes et arcs de triomphe. Le cortège traverse une double haie de curieux pour se rendre à la salle du banquet. Certes, Blain a dû voir sa population décuplée, car on avait peine à se frayer un passage, tellement la foule était dense ».

C’est la version du journaliste républicain du « Populaire ». Celui de « L’Espérance du peuple» n’a pas vu tout a fait la même chose à travers son lorgnon monarchiste : « Ces messieurs traversent l’avenue de la gare au milieu d’une haie de curieux complètement indifférents. Aucun cri n’est poussé, ni vive le Préfet, ni vive la République ! Personne ne salue ».

Blain : l'avenue de la gare

Le banquet est servi dans un champ, sous des tentes que la pluie a inondées quelques minutes auparavant. Mais il fait beau maintenant et le soleil ne va pas tarder à boire cette eau estivale à la santé du chemin de fer. « Il n’y a que 250 couverts, et ces bons républicains qui avaient annoncé partout qu’ils se trouveraient 5 à 600 ! » persifle le journaliste de « L’Espérance du peuple».

Le menu se compose de plats froids : huîtres de Cancale, beurre de Blain , jambon d’York, pâté de lièvre, galantine de volaille, veau maître d’hôtel, cresson, poulets, salade, poires, gâteaux et vins blanc et rouge d’excellente qualité ; café, cognac et champagne.

 

Entre pâté et galantine, le préfet prend le premier la parole. Il remercie les organisateurs de la manifestation, salue les personnalité présentes, retrace l’histoire de la nouvelle  ligne et insiste sur sa double mission : assurer la prospérité du pays et y apporter les idées républicaines : « La locomotive qui arrive aujourd’hui à Blain et qui bientôt, espérons-le, continuera jusqu’à Guémené, accomplira ici comme ailleurs sa mission civilisatrice ; en même temps que le bien-être, elle introduira dans le pays les idées modernes, les généreuses doctrines qui ne peuvent avoir leur libre expansion que par la République… La nouvelle trouée que la locomotive vient de faire permettra à l’air et à la lumière d’y pénétrer, en même temps qu’elle permettra aux habitants d’apercevoir ce qui se passe au dehors, dans le reste de la France. Ils y verront la marche ascendante du mouvement démocratique. Ils verront les chefs des vieux partis venus d’eux-mêmes à la République ne trouvant plus à leurs côtés des soldats pour la combattre. Ils comprendront, pour se servir d’un mot célèbre, que la République est entrée dans les sabots du paysan et qu’il faut être de son temps et de son époque ».

Le préfet rend ensuite hommage au président de la République « chargé par ses concitoyens de diriger la marche de la République, notre locomotive du progrès social » et, tout en filant la métaphore, salue le chef du gouvernement « votre illustre compatriote M. Waldeck-Rousseau. Avec de tels conducteurs nous pouvons envisager l’avenir en pleine sécurité. Et nous pouvons ainsi entrevoir l’aurore du jour où, débarrassée des fauteurs de désordres, la France verra tous ses enfants unis dans la République appliquer leurs efforts et leur intelligence aux œuvres de concorde et de progrès semblables à celle que nous fêtons ici ».

Le maire de Blain, M. Pouplard, prononce à son tour un discours où il rend un vibrant hommage au grand absent : « M. Waldeck-Rousseau, notre compatriote, frère de notre honorable juge de paix… dont le ministère actuel sera, d’ici quelques jours, celui dont l’existence aura été la plus longue depuis l’avènement de notre troisième République ». (Effectivement, le ministère Waldeck-Rousseau sera le plus long de la IIIe République (3 ans).

Intervient ensuite, M. Guihot, conseiller général du canton qui vante l’intérêt de la nouvelle ligne puis émet le vœu que son prolongement jusqu’à Beslé soit accompli le plus rapidement possible. Puis, inspiré peut-être par le Don paisible que la future ligne franchira à Guémené, il fait adopter par l’assemblée un message de bienvenue à l’adresse de l’empereur de la lointaine Russie où coule un autre Don.

M. Gay, président du conseil d’administration des chemins de fer de l’Ouest ramène les élus un peu trop boute-en-train à la réalité : « Nous avons à concilier dans notre gestion des intérêts bien divers : d’une part, une économie rigoureuse, imposée par le budget public, c’est çà dire imposée par les intérêts des contribuables ; d’autre part la nécessité de donner satisfaction au développement du trafic et de la devancer même parfois ».

Enfin, entre la poire et le gâteau M. Pérouse, le délégué du gouvernement, clôture le banquet avec esprit :

 

« Messieurs,

Lorsqu’on attend un Ministre et qu’on voit apparaître à sa place un simple Directeur de chemins de fer, on doit éprouver, je m’en rends bien compte une véritable déception… Un Ministre apporte toujours avec lui un discours, un grand discours souvent… Le directeur n’apporte lui qu’un toast, tout au plus une allocution, et le feu de son éloquence n’est qu’un feu de paille capable d’éclairer tout au plus la salle du banquet. Je comprends trop bien ce que vous avez perdu au change pour ne point chercher à m’excuser. Je n’ai qu’un moyen de me faire pardonner, c’est d’être bref ».

Puis, après avoir rappelé l’historique de la nouvelle ligne, il souhaite qu’elle soit rentable le plus tôt possible et pour cela il donne le conseil suivant aux habitants de la région : « Devenez très riches, que vos greniers soient trop petits pour y loger vos récoltes, que vos pâturages deviennent trop peu spacieux pour y loger votre bétail, que les touristes viennent dans votre joli pays apporter l’or à pleine main ». En un mot, menez un train d’enfer !

Entre cognac et champagne M. Pérouse remet des décorations (officiers d’académie, Mérite agricole) à une dizaine d’élus locaux.

 

Après le banquet, les personnalités forment un cortège pour se rendre au centre de la ville. Ils passent parmi les gymnastes de La Nazairienne en plein exercice, puis devant un mât de cocagne que des téméraires tentent d’escalader. On lâche des montgolfières sur leur passage. Sur la place de l’Hôtel-de-Ville « arrivent au pas de gymnastique les braves pompiers que conduit leur dévoué lieutenant, M. Gilard. En cinq minutes les pompes sont en batterie et l’attaque d’incendie commence contre une maison à deux étages. On opère les manœuvres de sauvetage aux applaudissements de la foule» (Le Populaire).

M. Pérouse félicite les pompiers, décore leur chef et remet des médailles aux responsables de la société de secours mutuels tout en prononçant un vibrant discours en l’honneur de la mutualité. Les clairons sonnent et le délégué du gouvernement remet maintenant le drapeau des « Vétérans des armées de terre et de mer » à leur président local en rappelant que lui aussi avait « porté l’épaulette d’officier d’artillerie pendant l’année terrible [1870-71] ».( Vétérans : c’est le nom que l’on donne alors aux anciens combattants de la guerre de 1870).

Ensuite tout le monde se rend à l’hospice en passant sous un arc de triomphe portant en lettres de fleurs la devise de Guépin : « Aux plus déshérités, le plus d’amour !». M. Pérouse doit poser la première pierre des travaux d’agrandissement de l’établissement hospitalier. C’est l’occasion pour lui de glisser à l’occasion d’un discours : « Je voulais arriver à vous parler de la question des retraites ouvrières à laquelle votre illustre compatriote, M. Waldeck-Rousseau, vient d’attacher son nom et que le Parlement saura, je l’espère, mener à bien ». (Le projet de loi dite des Retraites ouvrières et paysannes sera repoussé par le Parlement. Il ne sera voté qu’en 1910. Rappelons que Waldeck-Rousseau avait fait voter en 1884 la loi autorisant la création des syndicats professionnels dite « Loi Waldeck-Rousseau ».

Timbre de 1984 à l'occasion du centenaire de la Loi Waldeck-Rousseau.
Le cortège parcourt les rues de la ville décorées de fleurs et de feuillages dont un arc de triomphe surmonté d’une « locomotive primitive, la machine Stephenson, sur ses quatre roues » (Le Populaire). Le journaliste de « L’Espérance du peuple » ne peut que constater la décoration réussie des rues mais sa plume suinte le fiel : « Une quantité de drapeaux flottaient au haut des mâts plantés dans les rue, aux fenêtres des hôtels et des fonctionnaires, presque pas aux fenêtres des particuliers. Malheureusement les forains étaient peu nombreux ».

En soirée, personnalités et journalistes, reprennent le train pour Nantes, laissant la population locale continuer la fête qui se termine par un feu d’artifice tiré près du canal : « la pièce principale, représentant une locomotive s’est allumée aux acclamations de la foule, pendant que du pont tombait dans le canal une magnifique cascade de feu ». Une retraite aux flambeaux « suivie d’une foule énorme » (Le Populaire) clôtura cette fête.

Epilogue

Il avait beaucoup plu, le rail était glissant, la nuit tomba. Ce fut un choc pour la petite ligne Nantablain laissée désormais à elle-même. Elle fut prise de  vertige devant la tâche qu’on lui avait confiée : promouvoir l’agriculture, l’industrie,  le commerce, le tourisme dans une « région jusqu’alors déshéritée à tous les points de vue » comme l’avait dit le maire de Fay. Mais surtout elle avait retenu des propos terribles du préfet Hélitas ces quelques mots : « mission civilisatrice…  permettre à l’air et à la lumière d’y pénétrer … faire entrer la République dans les sabots du paysan ».

Fatiguée de sa journée elle s’endormit sous la lune et les étoiles, rêva d’un bateau à voiles partant pour le Japon et les trois mousquetaires des cinq doigts de la main tournant la manivelle d’un petit sous-marin…

On s’égare l’ami Jacques ! Revenons sur la terre. Vous voulez savoir ce qu’elle est devenue la petite ligne de chemin de fer ? Adressez-vous au fils de la garde-barrière et du cheminot qui se sont rencontrés sur la petite ligne Nantablain puis mariés à Treillières, unis par la curé Prévert le grand oncle de Jacques : consultez Jean Bourgeon : Treillières un village au Pays nantais 1800 – 1945 (pages 120 – 124 et 340 – 341).

Un chemin de fer c’est d’abord fait pour réunir ceux qui s’aiment.

 

                                                                                                          Jean Bourgeon